Le bilan de la première guerre mondiale est effroyable. Pour notre seul pays : 1 397 000 soldats et 300 000 civils morts, 4 266 000 blessés dont 740 000 mutilés, 640 000 veuves, 760 000 orphelins. A cette horreur s’ajouta la terreur instituée pour faire obéir les hommes (1). D’août 1914 à septembre 1918, les conseils de guerre ont prononcé 2 300 condamnations à mort ; avec les exécutions sommaires (les officiers pouvaient alors légitimement abattre sans jugement un soldat), ce sont au moins 639 soldats qui ont été fusillés « pour l’exemple », des hommes choisis au hasard – ou aussi en raison de leur engagement syndical dont 7 vauclusiens.
Tels les ouvriers maçons Baudy, Prébost et Morange – jugés rapidement par des conseils de guerre spéciaux improvisés, condamnés à mort au moindre doute, sans moyen de se défendre, sans recours possible: 7 vauclusiens vont connaître la même abomination. Il s’appelait Paul Triat, avait 37 ans et habitait Mornas, et encore Jules Chevalier de Saint Christol qui avait de 33 ans: fusillés en 1914. Il s’appelait Prosper Dauvergne, d’Avignon et n’avait que 25 ans, et encore Anselme Chambonnet lui aussi d’Avignon et avait 34 ans, et encore Henri Pascal de Robion âgé de 34 ans: fusillés en 1915. Un an plus tard c’est Fernand Brun de Orange âgé de 20 ans et Julien Lançon de la Bastide des Jourdans, fusillés lui à 23 ans en 1916.
Droit de mort et juridictions militaires d’exception sur les citoyens
Leur tort? s’être endormit lors d’une garde ou bien s’être dissimuler pour éviter de monter à un assaut suicidaire ou encore ne pouvoir y monter en raison de l’épuisement ou d’un état de choc psychologique ou encore battre en retraite sans y être autorisé alors qu’on faisait partie des rares survivants d’une attaque. Potentiellement aussi avoir refuser d’aller rejoindre dans la mort des milliers de camarades des précédentes vagues d’assaut, proférer des propos jugés séditieux alors que l’on est saoul, insulter un officier en plein carnage alors que tout vole en éclat autour de soi. Autant de prétextes à des condamnations à mort par des officiers qui voulaient à tout prix imposer leur autorité, voire exorciser l’incompétence criminelle du Haut Commandement comme lors de l’offensive d’août 1914 ou celle du Chemin des Dames en 1917.
Toutes ces exécutions furent faites sur décision de juridictions militaires d’exception ayant violé les garanties procédurales les plus élémentaires, voire par des officiers ayant agi de façon totalement arbitraire, en dehors de tout cadre légal.
Des balles françaises assassinent des soldats français.
Dès 1915, la Ligue des droits de l’Homme demande qu’il soit mis fin aux conseils de guerre spéciaux. A la Chambre des députés, Pierre Brizon, qui avait participé à la conférence internationale contre la guerre à Kienthal en 1916, déclara : « J’appelle ici l’attention du gouvernement et de la Chambre en m’adressant à leurs sentiments de sympathie et de justice pour le soldat du front, plus de peine de mort pour des coups de tête. Messieurs, à l’heure où je parle on fusille les soldats sur le front ! Des balles françaises assassinent des soldats français. Nous réclamons la même discipline pour les officiers que pour les soldats. Ne fusillez pas les généraux, je ne le demande pas. Mais ne fusillez pas non plus les soldats au nom de la discipline »
Réhabilitation des fusillés pour l’exemple
Dès la fin de la guerre, des familles de fusillés pour l’exemple engageront le combat pour la réhabilitation avec l’appui de la Ligue des Droits de l’Homme, d’associations d’anciens combattants, de syndicats, députés et partis. 40 victimes seront réhabilitées avant que n’éclate la seconde guerre mondiale. Pour les familles des « traîtres », pour leurs veuves et leurs orphelins, s’ajoutèrent au deuil le déshonneur public, l’humiliation face aux monuments aux morts où ne figuraient pas les noms des « lâches », le refus des pensions de guerre…
Depuis 1988, la Libre Pensée a relancé le combat pour la réhabilitation avec la Ligue des Droits de l’Homme et l’Association Républicaine des Anciens Combattants.
Tous les fusillés pour l’exemple de 14-18 doivent réintégrer sans réserve la mémoire collective, à égalité avec les autres victimes de la terrifiante boucherie humaine qui ensanglanta le monde au début du vingtième siècle.
15ème Rassemblement départemental vauclusien
La réhabilitation doit devenir réalité ! La loi de réhabilitation votée par l’Assemblée nationale, le 13 janvier 2022, a été repoussée au Sénat.
Le 15ème Rassemblement départemental vauclusien pour la réhabilitation des 639 fusillés pour l’exemple de la guerre de 14-18 aura lieu le samedi 9 novembre à 10h30 rue Alexandre Blanc* à Avignon (rendez-vous au croisement de la rue A. Blanc, du Bd de la 1ère DB et de l’avenue P. Sémard près du dépôt SNCF) contre les guerres qui n’engendrent que massacres, malheurs, destructions, reculs des droits sociaux, recul de l’état de droit, reculs de civilisation; pour l’exigence imprescriptible de justice des fusillés pour l’exemple.
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(1) Après l’échec de l’offensive en Lorraine, en août 1914, le général Joffre, commandant en chef des armées, demanda l’instauration de cours martiales. Messimy, ministre de la Guerre, donna alors aux autorités militaires des pouvoirs exceptionnels.
* Alexandre Blanc, libre penseur, député de Vaucluse, un des trois militants français
présents à Kienthal en 1916 à la conférence internationale socialiste contre la guerre.